En route vers la médecine prédictive personnalisée

La prévention fait consensus et est considérée comme une stratégie d’avenir pour tous les acteurs de santé (politique, laboratoire pharmaceutique, vétérinaire, médecin, patient, éleveur, propriétaire). Cependant les grandes révolutions génétique et numérique en cours sont en train de modifier les contours de la médecine préventive et d’en changer définitivement la donne. Elles apportent en effet de nouveaux outils pour permettre une médecine prédictive et personnalisée, et vont rendre enfin concret le terme vague et parfois trop généraliste de prévention. Elles autorisent la genèse de dizaines de milliers de données (le fameux «Big Data »), et transforment irrémédiablement les enjeux. La prévention se nourrira de la maîtrise et surtout de la capacité d’interprétation de ces données. Le robot de traite pour les vaches laitières, qui fournit des données individuelles ou globales, balayant la qualité du lait, la productivité, la reproduction, l’état de santé des vaches, l’alimentation, les boiteries, … est l’un des premiers exemples. La limite n’est pas l’information disponible, désormais quasi infinie, mais bien leur interprétation et leur intégration dans la gestion de la bonne santé des animaux. Une véritable opportunité pour le praticien, dans toutes les espèces, de renforcer son rôle dans le diagnostic et le conseil à condition d’être intégré dans les destinataires de ce flux de données. Car il deviendrait ainsi une interface performante, capable d’analyser les données obtenues et d’identifier très précocement les signaux d’alerte, pour prévenir les dérives et apporter les pistes d’amélioration personnalisées.

 

Les aléas de la médecine préventive

« Mieux vaut prévenir que guérir » ! Vieil adage largement utilisé, marqué du sceau de la logique et de l’évidence. Mais qui pour un praticien semble cependant bien difficile à faire mettre en application par ses clients. Comment sensibiliser les propriétaires aussi bien d’animaux de compagnie que d’animaux de production à investir sur leurs animaux avant qu’ils ne soient malades ?  Comment arriver à les convaincre que financièrement, ils auraient intérêt à payer pour l’évitement de la pathologie ?

Et que répondre à : « Oui mais si mon animal ne rencontre jamais ce virus, cela va me couter pour rien ? » D’autant plus qu’il arrive de constater que des éleveurs qui ont vacciné ont plus de problèmes que d’autres qui n’ont rien fait ! Non par inefficacité de la vaccination mais à cause de l’inadéquation des souches vaccinales avec les pathogènes présents dans l’élevage !

Alors notre réponse de scientifique est de parler de probabilité. « La probabilité pour que votre animal soit gravement atteint par ce virus dans les mois qui viennent est élevée, vous devriez donc mettre en place une prévention ciblée ». Mais nos statistiques et probabilités sont bien floues et inchiffrables objectivement, là où nos clients rêvent d’entendre des certitudes ! Nous sommes aujourd’hui condamnés à donner une valeur moyenne généraliste, une fourchette de taux de réussites, malgré toutes les méta analyses des publications, ou les médecines basées sur les preuves. Pourtant chaque animal est unique avec ses propres caractéristiques (race, âge, sexe, génétique, niveau immunitaire, antécédents, …). De même chaque élevage possède un environnement particulier (bâtiments, concentration des animaux, risque de contamination, niveau de production, …) ! Le client attend une évaluation du risque la plus précise possible, personnalisée, intégrant ses propres spécificités, avant de se décider à mettre en œuvre une prévention.

 

La médecine prédictive personnalisée

Les révolutions génétique et numérique sont en train d’apporter de nouvelles armes aux praticiens pour migrer vers la médecine prédictive ! Incroyable d’imaginer que Jean DAUSSET, médecin chercheur français visionnaire, prix Nobel l’avait énoncé dès …… 1977. « Depuis des siècles la médecine a essayé de traiter et aujourd’hui son but ultime est de prévenir plutôt que de guérir. Mais pour prévenir, il est nécessaire de prédire : c’est pourquoi la médecine prédictive, première étape de la médecine préventive est née ». Même si le chemin a peut-être été plus long que prévu, en particulier pour les apports de la génétique, aujourd’hui cette vision devient une réalité.

La démocratisation des analyses génétiques chez les animaux permettra de mettre en évidence les gènes de prédisposition (cancer, diabète, maladies héréditaires, …) et ainsi donner de nouvelles valeurs prédictives. Les nouvelles techniques de séquençage autorisent désormais des résultats rapides (quelques jours) et financièrement abordables (quelques centaines d’euros pour un génome complet), là où hier (il y a 15 ans seulement !) cela nécessitait plusieurs mois et plusieurs centaines de millions d’euros. La génomique a d’ores et déjà largement supplanté les autres modes de sélection pour les bovins. Les profils génétiques des animaux seront rapidement intégrés dans votre fichier clients. Ils pourront guider certains traitements par la prise en compte des risques importants d’effets indésirables.  Ou entraîner une modification des schémas posologiques pour intégrer la personnalisation de la pharmacocinétique. Ainsi la génétique sera la base des programmes de prévention et de suivi.

Avec l’émergence des objets connectés, la génération instantanée de centaines de données pour un même individu, et la capacité de les suivre dans le temps, la médecine humaine et vétérinaire est en train de devenir une science guidée par les données personnelles. Il deviendra possible aussi de comparer les données entre des dizaines de milliers d’individus et donc de faire émerger des impacts ou des corrélations inconnus jusqu’alors. Elles vont entraîner un grand bouleversement en permettant aussi de comparer les données d’un animal malade avec ses propres données quand il était sain, et non, comme aujourd’hui, avec les valeurs des animaux qui présentent des symptômes similaires. Tout ce qui pourra être connecté le sera.

 

Un nouveau rôle pour le praticien

Avec une telle information, prédictive et personnalisée, il deviendra alors plus facile de convaincre le détenteur de l’animal d’entrer dans une démarche de prévention. Toutes ces données vont permettre non seulement de suivre finement l’évolution des paramètres individuels des animaux, mais surtout d’augmenter la quantification du risque global. Et donc aider le praticien à vendre cette prévention. En s’accaparant ces nouveaux outils, le vétérinaire évoluera vers la fonction de gestionnaire des données de chacun de ses patients. Acteur intégré dans la gestion des données prédictives et personnalisées, il pourra ainsi superviser les risques individuels de santé pour les animaux de compagnie. Et il aura aussi les moyens de conseiller efficacement les éleveurs pour optimiser la productivité des élevages en se basant sur leurs spécificités et celles des animaux.

L’enjeu pour le praticien vétérinaire est donc de tout faire pour être au centre de l’exploitation de ces données, pour valoriser son savoir et ses connaissances. Car il reste avant tout un homme de diagnostic, d’analyse, doué de capacité de synthèse ! Sinon le concurrent du praticien de demain deviendrait l’algorithme ! Grâce à la médecine préventive personnalisée, il peut accéder au statut de garant de la bonne santé et du bien-être des animaux.