EFFICACITE OPERATIONNELLE ET PLAN STRATEGIQUE DES STRUCTURES VETERINAIRES
1ère Partie : L’efficacité opérationnelle n’est pas une stratégie de développement
Sous l’effet de la mondialisation, de la révolution numérique, et de la libéralisation des marchés, le monde économique évolue désormais à toute vitesse. Certaines sociétés comme UBER ou TESLA, émergent en se développant à une vitesse faramineuse, comme FACEBOOK ou Google un peu avant elles. Elles viennent bousculer l’ordre établi, arrivant à des capitalisations incroyables, même si certaines d’entre elles enregistrent encore des pertes annuelles abyssales, après plusieurs années d’existence. Elles ont cette capacité à surgir très rapidement, car basées sur des plateformes internet, elles reposent sur des modèles économiques nouveaux, à la fois mondialisés, immatériels et facilement copiables. Cette mutation permanente de l’environnement concurrentiel des entreprises, cette accélération de la compétition que l’on retrouve dans tous les secteurs d’activité pousse alors à se focaliser sur les résultats à court terme et sur l’efficacité opérationnelle, c’est-à-dire la capacité à faire la même chose que ses concurrents mais « en mieux », en plus efficient. Cela bien souvent au détriment d’une vision du long terme, et d’une véritable définition d’un plan stratégique de développement.
Les entreprises vétérinaires françaises n’échappent pas à cette règle, même si elles sont encore dans un environnement plutôt privilégié. Les changements économiques en cours, les incertitudes sur l’avenir de certaines filières de production sont anxiogènes pour les vétérinaires associés, propriétaires de leurs structures. Peu formés, ballotés par les importantes contraintes du quotidien de leur activité, et bien souvent peu enclins à définir un cap pour le moyen terme de leurs entreprises, ils se concentrent eux aussi dans une recherche d’optimisation de l’efficacité opérationnelle, certes nécessaire. Un des enjeux pour eux est d’avoir aussi la capacité à élaborer une vision et une stratégie, plus long terme.
1. Plan stratégique et Efficacité opérationnelle
Le développement d’une entreprise se base sur deux piliers : Le plan stratégique et l’efficacité opérationnelle.
Le plan stratégique traduit la capacité à se projeter dans le futur, à avoir une vision à 5 ou 10 ans de son entreprise et de ses diverses activités. Il symbolise donc le moyen, voire le long terme. Il se construit en se basant sur le diagnostic de l’existant, ses forces, ses faiblesses, et sur l’étude de l’évolution possible de l’environnement, les menaces et les opportunités qui peuvent survenir. Forts de cet état de lieux et de cette vision qu’ils ont la responsabilité d’imaginer, les dirigeants dessinent alors les grandes ambitions, les grands enjeux qu’il faudra réussir pour leur permettre d’atteindre cette vision, cet état projeté de leur entreprise. Cela signifie alors de bâtir le chemin, les solutions permettant de répondre à ces questions : Comment minimiser les menaces ? Comment saisir les opportunités qui devraient survenir ? Comment être le premier à conquérir et préempter des marchés naissants ? Comment développer encore les marchés existants, quelle innovation peut me permettre d’augmenter ma pénétration sur des segments de marché ? Au final, comment créer des avantages concurrentiels durables pour emmener, dans le futur, ma société à une meilleure place sur le marché et donc favoriser son développement ?
Répondre à ces questions permet de définir ainsi les différents objectifs stratégiques à remplir, de planifier les actions à mettre en place, et de dégager les ressources humaines et financières pour atteindre cette vision. Bien sûr ce chemin doit être aligné avec les valeurs de l’entreprise pour que les clients et les salariés puissent comprendre et assumer le changement. Ainsi la stratégie est une véritable feuille de route tracée pour des années, un cap, une ligne d’arrivée que les dirigeants et les salariés doivent garder en tête. C’est à la fois stressant et excitant car c’est un challenge à réussir. Bâti à partir d’hypothèses en particulier sur les évolutions de l’environnement, il existe évidemment une part d’incertitude, un risque de ne pas arriver exactement à la vision projetée. Mais cette tension générée par le plan stratégique se révèle être motivante pour tous, c’est-à-dire qu’elle permet de mettre l’entreprise en mouvement (Motivation, mouvement et émotion viennent toutes les trois de la même racine latine « motio » = mouvement) vers un but commun.
L’efficacité opérationnelle d’une entreprise est la capacité à dégager des bénéfices sur une période donnée (quelques mois à 1 an), avec des objectifs court terme. S’ensuit alors une logique arithmétique pour une recherche de rentabilité accrue. Pour atteindre cet objectif, différentes voies sont possibles, parfois appelées, à tort, des « stratégies » d’où une certaine confusion. Ces voies sont multiples ; les principales sont l’optimisation financière des intrants par une pression sur les fournisseurs, l’optimisation totale des process de fabrication (temps passé, ressources utilisées), une recherche de qualité pour viser le zéro défaut et donc éviter les destructions. D’autres pistes existent comme les délocalisations, les externalisations, le marketing pour doper les ventes. L’efficacité opérationnelle s’applique aussi bien aux produits manufacturés qu’aux services, même si les voies priorisées sont différentes : process de fabrication pour les premiers et délocalisation pour les services par exemple. Cette obstination, de plus en plus forte, à ne regarder que les indicateurs à court terme, est parfois vitale pour les entreprises dans certains marchés hyperconcurrentiels, une obligation pour simplement continuer d’exister demain. Si bien que l’efficacité opérationnelle devient une priorité par nécessité, au détriment de la stratégie. En l’absence de rentabilité, la conception et le déploiement d’un plan stratégique sont très difficiles à mettre en place, faute de moyens financiers et humains, renforçant davantage ce repli sur soi. Aujourd’hui l’efficacité opérationnelle a donc bien souvent supplanté la vision stratégique.
2. L’efficacité opérationnelle tend à supplanter la stratégie, et les conséquences
Cette recherche permanente de l’efficacité opérationnelle au détriment de la stratégie, a deux conséquences : l’uniformisation du prix, l’uniformisation de l’offre
La recherche de l’efficacité opérationnelle a connu un essor important dans les années 1980, par exemple dans les industries automobiles japonaises, avec le déploiement des programmes d’optimisation des délais et des coûts, comme le lean manufacturing. Le travail sur l’ergonomie et la rationalisation de la circulation des salariés et des machines a permis de gagner en rentabilité (qualité, rapidité et productivité accrues). Ainsi l’efficacité opérationnelle a progressé de manière significative depuis plusieurs années, grâce en particulier à la robotique et à l’informatique. L’avènement réussi du positionnement « low cost » dans un certain nombre de domaines illustre bien cette tendance. Par exemple, les sociétés RYAN AIR et EASY JET sont capables grâce à leur efficacité opérationnelle, de dégager régulièrement davantage de bénéfices que certaines compagnies aériennes « historiques ». Elle s’est traduite bien souvent par une forte pression sur les fournisseurs, et suivant les secteurs d’activité, à une éventuelle intégration de l’amont et de l’aval pour mieux maitriser les couts.
Cependant cette approche semble toucher aujourd’hui ses limites, avec une difficulté désormais à repousser encore la frontière de la productivité dans de nombreux domaines. Cette barrière maintes fois repoussée dans le passé, est celle vers laquelle convergent toutes les entreprises d’un secteur donné. Elle devient infranchissable sauf à balayer ses propres valeurs de qualité et d’éthique, ce que ne toléreraient pas les clients et les consommateurs. Ainsi la recherche de la meilleure efficacité opérationnelle crée la convergence du prix.
En outre, dans ce monde en perpétuelle évolution, se comparer aux concurrents est à la fois inévitable (car une innovation étant très vite copiée, il convient d’être à l’affut des idées des autres pour être réactifs), et à la fois indispensable (pour se rassurer d’être dans la même logique qu’eux, et donc de ne pas être distancé par eux). Cela se traduit par une veille concurrentielle étendue à tous les aspects, techniques, économiques, process de production, commerciaux. Et cette tendance à vouloir gommer les avantages des concurrents, cette évaluation comparative permanente conduit soit à racheter des concurrents, pour les « éliminer », soit à les copier rapidement. Avec au final une uniformisation des solutions et donc des offres. Ainsi plus les entreprises se comparent, plus leurs offres se ressemblent. La recherche de la meilleure efficacité opérationnelle crée la convergence de l’offre, au détriment de la véritable innovation.
Cette amélioration de l’efficacité opérationnelle est devenue depuis 15 ans une préoccupation de tous les managers pour éliminer ce qui n’est pas efficace, tout en améliorant la satisfaction clients. Elle est nécessaire mais insuffisante pour développer son activité et assurer la pérennité de l’entreprise.
Pierre MATHEVET, consultant TIRSEV.
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