Nous vivons dans un monde de grands changements, de rupture où les évolutions technologiques, sociétales et économiques s’accélèrent. Ainsi franchir le cap des 50 millions d’utilisateurs a demandé 38 ans pour la radio, 13 ans pour la télé, 4 ans pour Internet… et seulement 3 mois pour Facebook ! En matière économique, de nouveaux acteurs émergent et se développent à toute vitesse également, dans un univers mondialisé : Uber affiche déjà un Chiffre d’Affaires de 10 milliards d’euros au bout de 6 ans seulement, Airb&b de 5 milliards probablement dès la fin de l’année 2016. A titre de comparaison, le Crédit Agricole a atteint un Chiffre d’Affaires de 15 milliards d’€ en 2015 au bout de plus de 120 ans. Ces nouveaux géants enregistrent des valorisations boursières affolantes : 60 milliards pour Uber (soit 2 fois la valorisation de Renault) et près de 30 milliards d’euros pour Airb&b au bout de 4 ans, soit 2,5 fois plus que le groupe ACCOR qui possède pourtant plus de 4 000 hôtels dans le monde.! Spécialisées dans les levées de fond exceptionnelles, bâties sur des schémas minimisant les investissements (très peu de salariés et des actifs très limités), ces plateformes de la nouvelle économie sont-elles des bulles ? Peut-être ! Car Uber n’a toujours pas fait de bénéfices malgré ces chiffres impressionnants.

Cette révolution touche aussi les cœurs de métiers : Samsung se lance dans le médicament en construisant actuellement la plus grande usine de biomédicaments au monde, Google dans la santé et l’automobile ! Et TESLA société inconnue il y a encore quelques années devrait être la première à démocratiser la voiture électrique. Enfin les objets connectés vont transformer très rapidement notre univers, en particulier celui de la santé humaine et animale.

Dans ce grand chamboule-tout, émergent 6 grands défis pour le vétérinaire rural français. Les thématiques de ces 6 défis sont exactement les mêmes pour les vétérinaires exerçant en animaux de compagnie. Car s’engager dans une véritable démarche de satisfaction client en partant de son besoin, est une stratégie universelle. Seules les raisons qui voient naitre ces défis peuvent être différentes, les attentes des propriétaires de chiens et de chats étant naturellement différentes de celles des éleveurs.

1 – S’adapter aux évolutions des besoins des clients

Le secteur agricole, dont l’élevage, connaît aussi les mêmes évolutions, moins violentes mais plus structurelles. Ainsi, la surface moyenne par exploitation a été multipliée par 2 en 20 ans. Le nombre de bovins par exploitation a été multiplié par 2 en 15 ans environ et près d’une exploitation sur deux est sous forme sociétaire désormais, avec des éleveurs bien mieux formés et véritables gestionnaires de leurs entreprises pour certains d’entre eux. Face à ces nombreuses transformations, les besoins des éleveurs évoluent donc fortement. Tout intervenant de l’élevage, dont le vétérinaire, doit partir de ces nouveaux besoins, pas toujours exprimés par les éleveurs et tenter d’y répondre en mettant l’éleveur au centre de sa stratégie. Cela implique de vrais temps d’échanges pour que le vétérinaire questionne, entende et identifie les besoins. Les éléments réglementaires comme la visite sanitaire obligatoire ou le bilan sanitaire annuel constituent de vraies opportunités pour prendre le temps de ces échanges. Ensuite au vétérinaire de trouver une solution rapide, spécifique et adaptée à chaque élevage.

2 – S’adapter aux évolutions législatives

Au niveau européen, la loi de santé animale définit le vétérinaire praticien comme pilier majeur de la gestion de la santé animale. Dans le prolongement des « grandes prophylaxies », cela le confirme dans son rôle de référent sanitaire de proximité des élevages. Il endosse aussi des obligations, notamment la mise en avant de la prévention et de la vaccination, une sensibilisation de tous à la bonne gestion de l’arsenal antibiotique avec une obligation pour sa propre formation. Parallèlement, l’environnement législatif du médicament vétérinaire est en train de changer fortement dans le cadre du Règlement Européen sur le Médicament vétérinaire qui est dans sa dernière ligne droite (parution début 2017 ?), allant dans le sens d’une libéralisation du marché européen. Ainsi le vétérinaire est appelé à devenir moins dépendant du revenu tiré du médicament. Son revenu régulier tiré des grandes prophylaxies et des missions de gestion des crises sanitaires va continuer à diminuer également. Ceci sous le double effet de l’amélioration continue du statut vis-à-vis des fléaux historiques, et de la forte diminution des financements publics disponibles A lui de s’engager dans une logique servicielle (de ventes de services) pour continuer à se développer, comme cela a été observé dans tous les secteurs depuis 50 ans : le volume de produits vendus a été multiplié par 4… pendant que celui de services a été multiplié par 20 !

3 – Innover et inventer de nouveaux services

Pour la gestion du sanitaire dans leurs exploitations, les éleveurs plébiscitent la venue d’un généraliste performant, interlocuteur unique, plutôt que de voir défiler une foule de spécialistes. Ce besoin, clairement identifié de « service-conseil », touche autant les aspects sanitaires que zootechniques et englobe évidemment pour eux, l’amélioration de la productivité et des résultats économiques. Véritables chefs d’exploitations, les éleveurs souhaitent des conseils personnalisés, adaptés à leur propre situation, et bien évidemment rentables. Ils recherchent les conseillers « B to B » (Business to business), engagés dans une véritable logique de « gagnant-gagnant ». Les grandes demandes des éleveurs s’orientent vers les solutions qui leur font gagner du temps, du confort de travail, nécessitant le moins de main d’ouvre possible, qui simplifient les démarches administratives, et qui sécurisent voire améliorent la productivité de l’exploitation. Au vétérinaire de bâtir une offre de services pertinente, innovante et modulable, adaptée aux besoins de chacun, avec un engagement partenarial économique fort pour se démarquer de ses concurrents.

4 – Augmenter son efficacité commerciale

Pour vendre ses services, le vétérinaire doit commencer par matérialiser son offre de services (rédaction d’une fiche par service proposé, description du service et de son prix, ses caractéristiques et ses bénéfices pour l’éleveur, …). Les vétérinaires ont beaucoup investi ces dernières années sur la formalisation de l’offre, et sur la formation pour assurer la qualité du service proposé. Aujourd’hui il convient pour aller plus loin de définir une véritable stratégie commerciale (ciblage des clients concernés, stratégie de communication, utilisation des techniques de vente pour faire adhérer les éleveurs au projet). Et de franchir le pas de la démarche proactive chez quelques clients bien ciblés, en laissant de côté ses propres préjugés et freins. Le talent commercial n’occulte pas, ou ne se développe pas, au détriment du talent technique. Au contraire, la nécessaire valorisation des actes et des services, irréprochables très souvent sur le plan technique, passe par des étapes aussi incontournables que stressantes pour les praticiens : présenter son offre, l’expliquer, montrer les bénéfices qu’elle apporte, la valoriser et répondre aux inévitables objections …y compris sur le prix ! Tout un processus de vente qui n’est pas encore ancré dans les habitudes du vétérinaire et que celui-ci doit s’approprier pour amplifier sa capacité à vendre des services, en particulier sur l’approche globale du troupeau, souhaitée par certains clients.

5 – Développer la communication

La communication a toujours été un sujet plus ou moins tabou chez les vétérinaires, le code de déontologie ayant été peu permissif sur le sujet pendant des années. Le changement de paradigme avec le nouveau code de déontologie publié en 2015 (De « tout est interdit sauf … » à « tout est autorisé sauf … ») permet de combler des vides ancestraux. Les enquêtes chez les éleveurs montraient une faible connaissance de leur part des services proposés par leurs vétérinaires. La grande liberté actée aujourd’hui doit permettre aux praticiens de raisonner une stratégie de communication pour mieux faire connaitre leur offre de services. Les opportunités permises sont particulièrement nombreuses et très variées. A chaque praticien de définir ses objectifs, les cibles d’intérêt, les moyens humains et financiers nécessaires pour être le plus efficace possible dans sa communication.

6 – Améliorer l’attractivité d’employeur du vétérinaire rural

Avoir des vétérinaires ruraux demain dans nos campagnes est un vrai défi. La profession vétérinaire est confrontée à une fuite des jeunes diplômés (25 % des néo-diplômés des écoles françaises n’exercent pas l’année suivante, d’après les chiffres du Conseil National de l’Ordre). Et la pénurie de bonnes volontés touche également le secteur des animaux de compagnie : 72 % des vétérinaires ruraux déclarent avoir souvent des difficultés à recruter contre 61 % pour les vétérinaires canins (« Enquête Economie des entreprises vétérinaires » de la Semaine Vétérinaire 14 Oct 2016). La demande de main d’ouvre étant résolument et probablement durablement supérieure à l’offre, l’enjeu est donc de rendre attractive son entreprise vétérinaire. Vouloir embaucher signifie désormais être visible dans les écoles vétérinaires (stages, tutorat, …), être le premier à identifier les jeunes talents, les repérer voire les débaucher. Pour cela, pas d’autre choix que de s’adapter aux moteurs des nouvelles générations de vétérinaires : Travailler là encore sur leurs besoins (logement, internet, horaires de travail…), leurs aspirations (équilibre vie professionnelle vie personnelle) et les activités proposées (plans collectifs, visites de suivis, moins d’urgences et de contraintes…), car il n’y a surtout pas qu’une demande financière. Avec l’objectif de les attirer certes, mais aussi de les retenir et de les fidéliser. En un mot, une obligation d’œuvrer sur l’attractivité des cabinets vétérinaires pour assurer la pérennité des soins et la revente de ses parts de clientèle

S’adapter pour créer et saisir les opportunités

Confronté à ces 6 grands défis, le vétérinaire rural doit aujourd’hui s’adapter, comme il a déjà su le faire hier, pour créer et saisir les opportunités.

S’adapter, c’est d’abord être capable de sortir de sa zone de confort, ne pas refaire systématiquement ce qu’on a l’habitude de faire, innover, installer de nouvelles pratiques, de nouveaux services, travailler avec de nouveaux partenaires (pareur, technicien…), faire différent !

S’adapter, c’est aussi prévoir, anticiper, avoir une vision des évolutions en cours et à venir pour faire évoluer son entreprise.

Ainsi s’adapter, ce n’est pas se résigner ou subir, mais surtout passer à l’action pour changer ses habitudes. Et il n’existe alors aucune fatalité, car l’adaptable est optimiste. Il sait repérer et saisir les opportunités !

Pierre MATHEVET – TIRSEV