EFFICACITE OPERATIONNELLE ET PLAN STRATEGIQUE DES STRUCTURES VETERINAIRES

3ème Partie : Le plan stratégique des entreprises vétérinaires

Définir son propre plan de développement reste un enjeu majeur pour les entreprises vétérinaires. Habitués à gérer des urgences, à répondre à des appels téléphoniques et remplir un agenda au jour le jour, et jamais formés à la gestion d’entreprise, les praticiens, dirigeants associés sont peu portés par nature à construire une vision et définir une stratégie de développement. L’activité étant soutenue, ce n’était pas, non plus, une priorité ! Dans un environnement économique satisfaisant, les clients franchissaient assez facilement, par nécessité ou par besoin, les portes des cliniques vétérinaires aussi bien en canine qu’en productions organisées ou en clientèle mixte. La mise en place régulière de nouveaux services (radiologie numérique, laboratoire d’analyses et bilans sanguins, visites de suivi, …), la création de nouveaux secteurs d’activité (petfood, équine de loisirs, diététique, …), l’accroissement permanente des compétences des vétérinaires (chirurgie, NAC, ostéopathie, alimentation des ruminants, …) et les innovations thérapeutiques (nouveaux médicaments antiparasitaires, produits de phytothérapie, …) ont permis le développement des structures vétérinaires. Les vétérinaires, qui sont aujourd’hui majoritairement propriétaires de leurs entreprises, ont privilégié de réinvestir le fruit de ce développement dans la formation ou l’acquisition de nouveaux matériels, permettant d’autoalimenter ce cercle vertueux. Ces investissements, parfois conséquents (la « mode » est à l’achat de scanners de plusieurs centaines de milliers d’euros !) se sont faits, sans avoir toujours été vraiment réfléchis grâce à un Business Plan détaillé, ou intégrés dans une cohérence stratégique de l’offre de la clinique.

L’environnement des vétérinaires est, comme partout, en train de changer profondément même s’ils gardent certaines prérogatives (définition stricte de l’acte vétérinaire, prescription des médicaments) ou qu’ils sont dans certaines zones géographiques peu soumis à la concurrence, aussi bien vétérinaire que non vétérinaire. Les contraintes économiques pesant dans de nombreuses filières animales, le changement des besoins des éleveurs et leur professionnalisation, la stagnation du pouvoir d’achat des propriétaires de chiens et de chats, la facilité d’accès au marché de certains acteurs via les plateformes de ventes en ligne (Petfood, hygiène, diététique) ont bouleversé rapidement la donne ces dernières années. Certaines évolutions réglementaires bien réelles (arrêt des remises sur les antibiotiques) ou potentielles mais à une échéance courte (libre circulation des ordonnances en intra-européen) ou menaces significatives éventuelles (découplage prescription délivrance) viennent s’ajouter aux changements de l’environnement économique et de marché, et amplifier les incertitudes.

Devant ces changements et un avenir assez flou, les praticiens ont eu la tendance tout à fait naturelle de se replier sur la recherche de l’amélioration de l’efficacité opérationnelle de leurs entreprises. Quelques indices ont suffi pour « qu’ils lèvent la tête du guidon » et prennent conscience de cette évolution : baisse de la trésorerie (arrêt des remises sur les médicaments contenant des antibiotiques, impayés ou retards de paiement), difficultés sur le marché du petfood dues à la concurrence des sites internet, baisse des prix de vente de certains antiparasitaires chiens/chats leaders, diminution de l’activité de visites individuelles en élevage bovin laitier (« crise du prix du lait »). La conséquence la plus visible de cette prise de conscience est la création alors, en quelques années d’une centaine de GIE ou regroupements d’achats. L’objectif est clair, même si pas toujours avoué, de faire pression sur les fournisseurs pour obtenir de meilleures conditions d’achat. Première étape de la recherche de l’efficacité opérationnelle, et étape gagnante, pour chercher à se rassurer en préservant l’existant d’une part et surtout pour dégager de la trésorerie supplémentaire. La création des GIE a permis dans certains cas de développer aussi des compétences techniques et de promouvoir certains nouveaux services en fonction des envies des uns ou des autres. Cependant cela s’est fait majoritairement sans vraiment étudier en préambule la demande exacte des clients ou sans se donner les moyens de construire et promouvoir activement cette nouvelle offre.

Ainsi l’efficacité opérationnelle s’est traduite comme prévue, par une convergence rapide des prix et des offres. Les conditions commerciales particulières supplémentaires obtenues dans ces GIE sont régulièrement englouties dans le prix de vente des médicaments, sous le joug de la concurrence (canine et équine surtout) ou de la pression mise par les clients professionnels sur leurs fournisseurs (éleveurs).

L’efficacité opérationnelle des entreprises vétérinaires peut encore s’améliorer notamment grâce à l’optimisation des process et organisations internes. Sans vouloir évoluer vers le Lean Manufacturing et ses dérives sclérosantes, des marges de manœuvre existent encore : Dans la planification des tournées de visites en pratique rurale, dans la planification des chirurgies de convenance en pratique canine pour optimiser le temps passé en salle d’opération, ainsi que dans le management des salariés où la définition des rôles et des missions pourrait permettre de gagner en compétitivité. Tant mieux, cela représente donc quelques réservoirs d’amélioration de la rentabilité.


Schéma 4 : Plan stratégique et ses différentes étapes

Malheureusement, rares sont encore les entreprises vétérinaires ou les regroupements qui sont entrés dans la constitution d’un plan stratégique. Pourtant cette démarche est proche de leur quotidien de praticien avec une phase préalable indispensable de diagnostic (analyse SWOT de leur état actuel avec forces, faiblesses, menaces et opportunités) puis une phase de traitement (plan d’actions et projets) après avoir défini une vision (c’est à dire un objectif d’amélioration de l’état initial). Le traitement et ses différentes composantes sont réfléchis pour améliorer l’état actuel diagnostiqué, mais aussi pour éviter les rechutes c’est-à-dire de s’affranchir des risques dus à l’environnement futur. Le plan d’action et les projets sont ainsi à la fois le curatif et le préventif qui engloberait la vaccination, l’alimentation ou les modifications comportementales.

Avoir la capacité de se projeter dans le futur, de se poser la question de ce que l’on souhaite faire collectivement de son entreprise vétérinaire (ou de son regroupement) dans 5 ans est essentiel. Même si cet exercice est inhabituel dans notre profession, pouvant parfois paraître loin des préoccupations quotidiennes (alors qu’il est la réalité de demain, des cliniques), ou très chronophage, il est fondamental car il acte les décisions prises clairement et surtout collectivement, sur les activités à créer, à abandonner ou à développer, et les différentes étapes, investissements et responsabilités pour y parvenir. Il n’est pas lié à une taille de structure, toutes les entreprises petites ou grandes sont concernées. Il présentera un certain nombre d’intérêts aussi bien pour l’entreprise vétérinaire canine à 2 associés en région parisienne, que pour l’entreprise mixte, à 6 associés et 4 activités (canine, bovine, volaille, équine) dans le Sud-Ouest, avec forcément des résultats différents, mais avec une méthodologie identique. Les évolutions structurelles des vétérinaires montrent une augmentation moyenne du nombre d’associés et de diplômes par entreprise vétérinaire, même s’il n’existe pas de structure type ou de modèle à suivre. A chacun la liberté de travailler dans la structure qu’il souhaite et dans laquelle il trouve son plaisir ! Le constat est cependant vers un développement de la taille des structures, et une augmentation de leur complexité. Cela autorise bien souvent des investissements plus lourds, des spécialisations de certains acteurs, et une richesse d’approche des patients, par une diversité des métiers et une multidisciplinarité. Le schéma historique, avec globalement seulement deux métiers représentés au sein des structures vétérinaires (vétérinaire praticien, assistant(e) vétérinaire) est en train d’évoluer avec bonheur, dans certaines structures, vers un schéma d’entreprises complexes. Différents métiers vétérinaires (chirurgien, imagier, spécialiste) et non vétérinaires (pareur, technico-commercial dans la diététique, assistants de direction, directeur de communication, …) vont de plus en plus se côtoyer au sein de l’entreprise vétérinaire. Il en va de même dans un autre axe avec l’apparition des Centres Hospitaliers Vétérinaires (CHV), leurs contraintes et leur organisation complexe. Le revers de la médaille de l’agrandissement de la taille, est l’obligation plus que jamais de fédérer les équipes autour de projets communs, de communiquer avec elles, d’expliquer les choix et les procédures à respecter. Ainsi l’objectif est (et sera de plus en plus), d’aligner l’ensemble des équipes dans la même direction.

La définition collective du plan stratégique participe à la dynamique de l’entreprise, au partage d’informations et de responsabilités avec les salariés, libérant les énergies de certains (ou certaines), si heureux (ses) d’apporter leur contribution à ce qu’ils (elles) considèrent comme « leur » entreprise après plus de 10 ou 15 ans de statut de salarié. Tous – associés, salariés vétérinaires, salariés non vétérinaires – sont ainsi « alignés », sur la même longueur d’onde, pour atteindre un même but. Tous marchent avec la même ligne d’arrivée en tête, ce qui permet d’augmenter le sentiment d’appartenance, élément clef pour que les gens se mettent en mouvement.

Le plan stratégique, même si sa finalité est d’améliorer le fonctionnement de l’entreprise vétérinaire, se doit pour atteindre son objectif, de prendre en compte l’environnement et les attentes des clients. C’est-à-dire de ne pas être autocentré. Rien ne sert de développer des projets qui n’ont pas de sens pour les propriétaires d’animaux, ou qui n’auraient aucun intérêt économique direct ou indirect. Certains services, non rentables en tant que tels, peuvent se justifier par des retombées indirectes, de communication ou de développement d’autres services beaucoup plus rentables. Enfin, le plan stratégique doit s‘inscrire bien évidemment dans le respect de la déontologie et d’un cadre éthique. La profession vétérinaire étant une profession réglementée, il convient de respecter, en amont, le cadre de l’autorité de régulation qu’est le conseil National de L’Ordre. Ce cadre clairement défini permet aux chefs d’entreprises vétérinaires de travailler leurs projets moyen terme ou long terme au sein d’un immense espace de liberté, protégé.

Bien entendu la définition du plan stratégique pour un GIE ou regroupement, c’est-à-dire le travail collectif sur la finalité de cette structure, devrait également être une priorité : Savoir ce que les associés veulent faire et peuvent faire au sein de ce regroupement, comme d’ailleurs définir ce qu’ils ne veulent pas faire avec cet outil ! Tout en gardant de la souplesse, pour pouvoir ajuster si nécessaire, la stratégie globale en fonction des aléas législatifs ou des évolutions de l’environnement.

Enfin devant les difficultés actuelles de recrutement, pourquoi les entreprises vétérinaires ayant défini leur plan stratégique ne seraient-elles pas plus attractives que les autres ? Afficher ses valeurs, ses ambitions, sa volonté de développement, sa motivation, et les moyens mis en œuvre, doivent permettre d’avoir un avantage concurrentiel sur la capacité à attirer les jeunes talents. Freinés bien souvent par des peurs et des angoisses pour se lancer dans la vie active, les jeunes diplômés trouveront là des projets clairs et rassurants, un cadre bien défini pour les prochaines années. Ils auront ainsi une plus grande facilité à se projeter et donc à s’engager, certains qu’ils pourront compter sur un véritable esprit d’équipe et d’entraide.

Le plan stratégique s’appuie donc sur la vision spécifique des dirigeants de l’entreprise vétérinaire, de ce qu’ils veulent faire, ce qu’ils ont envie d’être, de ce qu’ils anticipent pour les évolutions réglementaires par exemple.

Ce qui manque peut-être le plus de nos jours, c’est une vision de la profession vétérinaire, ce qui permettrait déjà d’avoir un cadre général.. A ce sujet les travaux en cours en Angleterre, menés par la BVA (British Veterinary Association) sont remarquables (www.vetfutures.org.uk) pour façonner ce que sera le vétérinaire anglais de demain. Ce travail colossal se base sur les avis des propriétaires des animaux et du grand public, les avis des vétérinaires, les avis des salariés, les contraintes et opportunités, les difficultés des vétérinaires. Ce programme extrêmement ambitieux, véritable plan stratégique de l’ensemble de la profession, devrait permettre de projeter les vétérinaires anglais dans leur futur et dans l’action pour délivrer le meilleur pour la santé et le bien-être des animaux, de leurs propriétaires et des vétérinaires.

En conclusion, l’amélioration de l’efficacité opérationnelle est indispensable, elle est nécessaire mais pas suffisante pour assurer la pérennité de l’entreprise, le développement de ses collaborateurs, et attirer les talents. Oui, repousser la frontière de la productivité est obligatoire pour rester dans la course. Mais sans définition concomitante d’une vision et d’un plan stratégique de développement, véritables ouvertures sur le long terme, la seule optimisation de l’efficacité opérationnelles fait régresser. Elle enferme dans une réflexion sur la concurrence et la rentabilité immédiate. Elle peut empêcher de saisir les opportunités de marché, de voir arriver les innovations concurrentielles ou les évolutions réglementaires. Elle est à l’entreprise vétérinaire ce que peuvent être les œillères au cheval de course : réduire sa vision pour l’obliger à se concentrer sur ce qui est juste devant lui, le court terme.

Le plan stratégique, qui exige constance et rigueur, vision et exécution, est l’ensemble des fondations de l’entreprise, alors armée pour durer et se développer même dans l’adversité.

Pierre MATHEVET, consultant TIRSEV.